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Comment reconnaitre le cuir des reliures anciennes ?

  • Photo du rédacteur: Emmanuelle Maïsetti
    Emmanuelle Maïsetti
  • 13 avr. 2021
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 avr. 2021

Pas toujours facile de savoir quel cuir recouvre vos reliures anciennes. Voici donc une petite mise au point des termes utilisés.


Le vocabulaire utilisé pour nommer les cuirs provient généralement de l'espèce animale dont est issu le cuir. On parle également de "nature" du cuir.


La basane désigne le mouton; le maroquin désigne la chèvre et le veau... bon, celui là est évident! Avant de vous donner les techniques de reconnaissance, je voudrais faire un petit point sur la terminologie car je pense que cela vous permettra d'y voir plus clair.


Parce que lorsque l'on veut décrire la couvrure - matériau qui recouvre l'ensemble de la reliure - il y a généralement un amalgame qui est fait entre l'espèce animale dont est issu le cuir, le traitement qui lui a été appliqué pour le rendre imputrescible (tannage, mégissage ou parcheminage) et les spécialités des métiers du cuir.

Voyons d'abord les techniques utilisées pour rendre le cuir imputrescible. C'est un bon départ pour comprendre les différences fondamentales entre les types de couvrures.


Les traitements du cuir


LE TANNAGE


Après que la peau ai été nettoyée, elle va être mise dans un bain de chaux pour d’ouvrir les pores et libérer le poil. La peau est ensuite grattée avec un couteau en forme de demi-lune pour éliminer les derniers morceaux de chair et impuretés. Puis elle va être tannée (bain de tan). Cette opération consiste à lui conférer des propriétés imputrescibles par la combinaison irréversible entre le collagène de la peau et une substance tannante. Le tannin pénètre dans le derme et se fixe.

Il existe de nombreuses matières tannantes mais je ne vais vous parler que de celles utilisées pour recouvrir les reliures.


Le tannage végétal


Le tannage végétal consiste à trempé la peau dans un bain de tanins végétaux tels que la noix de galle, le sumac, l'écorce de chêne, de pin, d'aulne, de bouleau, de glands, etc. Cette technique va produire des cuir résistants, épais, relativement dur et de couleur foncée. C'est le type de traitement le plus utilisé pour les cuirs de reliure.


Le tannage minéral


Comme son nom l'indique, le tannage minéral se fait à partir de sels minéraux. Il produit des peaux relativement souples.

Traditionnellement, ce sont l'alun et le sel marin qui sont utilisés, mais le XIXe siècle à vu l'apparition de nouvelles substances tannantes telles que le sel de chrome et le sel d'aluminium. Ce type de tannage va produire des peaux de très grande résistance mécanique, peu sensible à la chaleur et la pollution, imperméable, et facile à teindre.


Les reliures dites "en box", sont des peaux de veau tannée au chrome. Elle sont extrêmement lisse et souvent de couleur très vive. Utilisées surtout en reliure contemporaine.



LE MÉGISSAGE


Le mégissage est une technique de tannage minéral à l'alun appliqué à de petites peaux (donc de petits animaux) qui permet d'obtenir une peau souple, flexible et fine. Contrairement au tannage végétal, cette technique permet d'obtenir des peaux blanches qui se prêtent parfaitement à la teinture.

Le cuir mégissé se conserve très bien, mais est très sensible à l'eau. Il rend une peau blanche/claire, qui ressemble à un velours du coté chair (le coté non visible de la peau) et qui du coté fleur, à un touché lisse et doux.


Les reliures que l'on nomme "reliure en cuir ou peau retournée"sont fabriquées à partir de peaux mégissées, généralement teintées puis collées sur la partie fleure, laissant le coté velours visible.


Détail d'un rempli en peau mégissée. On peut voir la teinte d'origine. (BM Poitiers)


LE PARCHEMINAGE


La fabrication du parchemin repose davantage sur modification physique des fibres de collagènes que le tannage qui lui fait intervenir surtout une modification chimique. En effet, après avoir été plongé dans un bain de chaux pour ôter les poils - traitement commun avec le tannage - la peau est étiré sur une herse rectangulaire. Normalement, les fibres de collagènes forment un réseau tri-dimensionnel, mais une fois étirées, elles s'agencent en une structure lamellaire, parallèlement à la surface de la peau. Cette structure sera conservée grâce au séchage, mais dès que le parchemin sera mis en contact avec de l'eau, les fibres reprendrons leur état d'origine.

Parcheminage. Extrait de Cuir & Parchemin de Claire Chahine

Tout types de peaux ont été utilisées pour faire du parchemin, mais traditionnellement, c'est le mouton qui a été préféré.

La couleur du parchemin dépend de la couleur de l'animal, il peut être blanc, ivoire,crème, jaune, mais aussi brun ou noir.

Le parchemin présente une structure raide, avec une forte résistance mécanique. Au touché, il est lisse et donne une sensation de frais. C'est aussi un matériau très sensible aux variations hygroscopiques, il ne supporte ni l'humidité - on dit que le parchemin "gauchit", c'est à dire qu'il gondole -, ni la sécheresse - où le parchemin se cambre et/ou se rétracte.


Reliure souple en parchemin "gauchit"


Le vélin


Le vélin est traditionnellement issu des "veaux morts-né". En réalité, il est réalisé à partir de très jeunes animaux ( brebis, agneau, veau) dont les follicules pileux ne sont pas encore développés. Ainsi, la peau n'a pas, contrairement au parchemin classique, les petites traces laissées par l'emplacement des poils. Ce sont également des animaux qui n'ont pas eu le temps de paître dans la nature et qui n'ont donc jamais été piqués par des insectes ou même blessés par des ronces ou autres. Leur peau ne présente aucune imperfection.

C'est un matériau très fin, beaucoup plus fin que le parchemin, à la fois souple et résistant. Du fait de la quasi absence de follicules pileux, il n'est pas poreux et donc beaucoup plus transparent. Le touché est extrêmement doux, je dirais même soyeux, surtout lorsqu'il est récent.

Il est généralement utilisé pour l'écriture, et peut être parfois (je dirais même rarement) utilisé comme matériau de couvrure pour de petites reliures de luxe, mais toujours collé sur des plats, jamais sur les reliures souples. Il serait beaucoup trop fin.


Reliure dite "hollandaise" en parchemin. Bien que sa surface soit très lisse, il ne s'agit pas de vélin.

Pour différencier le vélin du parchemin, essayer de ressentir l'épaisseur de la couvrure: le vélin est extrêmement fin. Il est également bien plus translucide que le parchemin classique.


Reliure en parchemin sur plat. (Bibli. CESR, Tours.)


Les métiers du cuir


Les techniques de traitement varient selon la taille des peaux, c'est pourquoi il existe différentes spécialités dans les métiers du cuir, qui ont par la suite donné leur nom à des types de cuir. En réalité, les noms de ces métiers varient selon les sources et les époques, mais, grosso modo, ça donne ça:


Les Tanneurs sont ceux qui travaillent les grandes peaux (vaches, bœufs, veau, buffle, etc.) en utilisant un tannage végétal.


Les Mégisseurs sont ceux qui travaillent les petites peaux (chèvre, bouc, mouton, mais aussi les veau ) en utilisant un tannage au sel d'alun.


Les Maroquiniers, travaillent eux la peau de chèvre ou de mouton avec un agent végétal tannant appelé le "takaout" et de l'alun. Associé au sumac (tannant végétal), il donne une coloration presque blanche au cuir, ce qui permet de le teindre facilement . C'est un e technique employé originairement à Tafilalet (région du Sahara marocain, au sud du Haut Atlas). Le maroquin est souvent confondu dans les textes avec de Cordouan, (de la ville de Cordoue en Espagne) également un cuir issu de la chèvre, qui donna naissance au mot cordonnier.


Voilà donc d'où viennent les termes de "maroquin" et de "cuir mégissé".


L'espèce animale


Reconnaître l'espèce animale dont provient le cuir est la base de la dénomination des cuir.

Le cuir peut être fabriqué à partir de n'importe quel animal, mais les plus couramment utilisé proviennent des animaux domestiqués: bœuf, mouton, chèvre et porc. Pour pouvoir identifier un cuir il faut:

- regarder la disposition des follicules pileux (là ou naissent les poils). Ils forment à la surface de la peau des petits trous et des sillons qui sont spécifiques à chacune des espèces.

- reconnaitre les usures normales d'un cuir, car leur résistance physique est liée à enchevêtrement des fibres de collagènes qui sont spécifique à chaque peau, et qui donc se dégradent de manières différentes

- savoir toucher et "ressentir" le cuir. Je dirais que c'est là l'essentiel mais et qui demande un certain entrainement. Je vais essayé du mieux que je peux de mettre en mot ce que je ressens au touché d'un cuir.


La chèvre et le mouton


Il est assez difficile de différencier les cuirs de chèvre et de mouton, et à vrai dire, cela importe peu car ce n'est pas cette terminologie qui est utilisée. Généralement, on parle de "basane" pour designer du cuir issu du mouton et de "maroquin" ou de "chagrin" pour du cuir issu de la chèvre.


La basane (mouton à laine)


En réalité, le terme de "basane" désigne depuis le XIXe siècle un cuir de mouton de mauvaise qualité. Je suis sûre que vous avez déjà eu entre les mains des cuirs de mouton que vous avez décrit comme étant du veau ou du maroquin! Car il existe - ou du moins existait! - du cuir de mouton issu de races primitive de très bonne qualité utilisé pour des reliures prestigieuse.


En faite, la basane, est initialement un cuir issu d'une race de mouton élevé pour la laine. Le procedé de délainage, tout en préservant le poil dans son intégrité, altère le derme et donc la resistance mécanique du cuir.


- La basane, est un cuir au touché "chaud", il n'y a pas cette sensation de frais comme pour le veau, et surtout, on sens que le cuir n'est pas aussi dense, je dirais qu'il est plutôt spongieux. Pour que vous compreniez la sensation que ça fait sous les doigts, c'est comme si la surface du cuir était maintenu en suspension par des fibres verticales molles: on pourrait presque faire bouger la surface sans que cela n'affecte la base.

Epidermures sur une basane

- Les follicules pileux du mouton sont très similaires à ceux de la chèvre, surtout sur certaines parties de la peau. Alors, je vous le dis juste pour info - mais sachez que pour différenciez une peau de mouton à une peau de chèvre, surtout ancienne, il sera plus facile de vous en remettre au touché - les poils sont insérés par paquet de manière irrégulière, avec la présence de nombreux follicules secondaires. Passionnant, hein?!


- L'élément le plus caractéristique pour reconnaitre un cuir de basane reste encore la manière dont le cuir "s'épluche"en formant des sorte de flammèches.

Cela est dû à la structure physique de son derme (faible nombre et irrégularités des enchevêtrement des fibres de collagènes, présence des glandes sudoripares à la limite de l'épiderme etc...)


La chèvre lisse


C'est un type de cuir dont il est trop souvent ignoré, et pourtant, je l'ai rencontré à de très nombreuses reprises. Il est généralement confondu avec du veau car il est lisse, ou bien avec de la basane s'il est abîmé, mais si vous prêtez attention aux follicules pileux, vous apercevrez de petits trous alignés et regroupés par 3.


Chèvre Lisse

Le maroquin


Le maroquin s'obtient avec de la peau de chèvre. Il se caractérise par un grain large et très marqué, bien que la parure nécessaire lors de la pose du cuir puisse atténué le grain. Il est traditionnellement issu des chèvres du Levant, dont la peau est résistante et très épaisse.



reconnaitre le maroquin
Cuir Maroquin

Vous le reconnaissez facilement, car ses follicules pileux sont alignés et forment des sillons et l'espace entre ces sillons est donc rehaussé ( le fameux grain!)

Au XIXe, on créa un maroquin à grain long, lui aussi aisément reconnaissable.

Maroquin à grain long
Maroquin à grain long



Le chagrin


Aujourd'hui, le chagrin qualifie une peau de chèvre avec un petit grain rond qui lui est donné manuellement à l'aide d'une paumelle en liège. Idem, ce cuir ne présente pas de difficulté d'identification.




Le veau


- La peau de veau a un follicule pileux fin, à peine détectable, sans follicules secondaires, contrairement aux peaux de chèvre et de mouton. Elle est donc très lisse.


- Elle a une excellente résistance aux déchirures car les fibres de collagènes qui composent son derme sont disposés de telle manière qu'il y a beaucoup d’enchevêtrements sur une petite épaisseur. Ainsi, les cuir de veau ancien sont physiquement et naturellement dans un bon état. Après, le cuir peut avoir été abimé chimiquement, notamment s'il a été teinté avec du noir de fumé ( jaspure, marbrure etc..), mais vous pouvez voir malgré tout qu'il y a comme une base de bonne qualité.


- Lorsque je prend une reliure en veau dans la main, le cuir est lisse, doux et "frais". Je sens qu'il est fin, mais dense. Un peu comme la surface d'un galet très lisse.


Voici des exemples de reliures ancienne en veau. Malgré l'usure on voit nettement qu'il n'y a pas de follicules pileux aussi marqué que ceux de la basane.



Le porc


La peau de porc, plus communément appelée "peau de truie", présente un follicule pileux triple (3 points) formant un triangle, sans follicules secondaires. C'est une peau relativement lisse, épaisse et résistante.

A ma connaissance, elle n'a été employé que sur les reliures à ais (de bois). Au vu de son épaisseur, elle se prêtait relativement bien à l'estampage à froid (décors en relief uniquement).


Reliure en peau de truie. (Bibli.CESR)

Détail de l'implantation des folicules pileux de la peau de porc

Cet article vous a aidé à y voir plus clair? Les commentaires sont ouverts, n'hésitez pas à vous en servir pour échanger!


Bien à vous,

Emmanuelle


Sources:

  • Claire Chahine, Cuir & Parchemin, ou la métamorphose de la peau, CNRS éditions, 2013. Ici

  • PDF de la Tannerie Dumas

  • Maroquin, cordouan, chagrin, article de Claire Chahin sur le site de l'IRHT

  • CSIBA, Eva Halasz. Le cuir de Hongrie en France entre les XIVe et XVIIIe siècles : Histoire et problématique d’un transfert technique basé sur l’usage de l’alun In : L'alun de Méditerranée [en ligne]. Naples : Publications du Centre Jean Bérard, 2005. Ici

  • BORGARD, Philippe (dir.) ; BRUN, Jean-Pierre (dir.) ; et PICON, Maurice (dir.). L'alun de Méditerranée. Nouvelle édition [en ligne]. Naples : Publications du Centre Jean Bérard, 2005.

  • CHAHINE, Claire. L’utilisation de l’alun dans la transformation de la peau en cuir In : L'alun de Méditerranée [en ligne]. Naples : Publications du Centre Jean Bérard, 2005


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